Lorsque le spectateur observe un travail il se questionne sur le plaisir visuel que celui-ci lui procure, parfois sur les émotions qui font écho dans son âme mais rarement sur ce qui a conditionné le choix d’utiliser une toile, un papier ou un carton... l’œuvre est présentée dans toute son évidence et beaucoup de micro-elements qui ont guidé l’artiste dans ses décisions sont difficilement perceptibles. Et pourtant la plupart des artistes confieront que ce support fait partie intégrante de la manière avec laquelle leur expression a pu se matérialiser et parfois même leur souffler une inspiration particulière.
On sait par exemple que Keith Haring se dirigeait spontanément vers les supports non conventionnels comme le papier journal, le carton, les tissus, les panneaux publicitaires du métro New Yorkais, les murs. Il affectionnait particulièrement les supports dits non nobles dont il considérait qu’ils lui donnaient plus d’accessibilité. Et c’était cela que l’artiste souhaitait avant tout, le contact, s’exprimer auprès du public de façon directe, spontanée, à l’instar de son trait de crayon. Contrairement à la toile, institutionnelle, conventionnelle, qui dressait selon lui une distance avec les autres.
Pour Warhol, l’exploration était dans la variété des moyens d’expression : photographies, photomatons, performances visuelles, vidéo musicales, scénographiques, mais pour ce qui était de son art sérigraphique, celui qu’on lui reconnaît particulièrement aujourd’hui, c’était principalement le papier ou la toile, l’artiste a suffisamment négligé la recherche d’autres types de supports pour admettre qu’il se satisfaisait pleinement de la simplicité des 2 matériaux les plus conventionnels qui soient. Sa satisfaction venait surtout d’être le précurseur d’une technique nouvelle pour les arts, la sérigraphie et qui, combinée à sa vision Pop et ses origines publicitaires lui a donné définitivement cette aura révolutionnaire et visionnaire de l’art contemporain . D’une certaine manière la simplicité des 2 types de supports utilisés fait partie intégrante de la façon avec laquelle l’artiste s’est ancré dans l’imaginaire collectif...
Pour Wesselmann, dont l’extraordinaire singularité dans les couleurs utilisées n’a d’égale que la perfection de son utilisation des aplats, bien qu’ayant travaillé sur de multiples supports, métal, résine, toile, bois etc... le papier lui procurait un plaisir bien spécial car il sublimait l’impression immaculée de ses aplats....
Ceci étant dit concernant quelques maîtres du Pop Art américain, si nous avions la curiosité de nous tourner de l’autre côté de l’Atlantique, du côté de leurs cousins français, les maîtres de la figuration narrative, l’exploration est toute aussi intéressante. Mettons quelques réserves, certains piliers du mouvement en question ne revendiquent pas du tout ce rapprochement de leur courant avec les américains et considèrent que leur engagement est bien plus politique et social. Mais pour l’artiste Ivan Messac que nous affectionnons particulièrement et qui revendique tout à fait la participation du courant américain dans les influences de son expression, il est également intéressant de se pencher sur la richesse de ses moyens d’expression.
Ivan reconnu notamment pour ses peintures, ses dessins et ses sculptures a fait du choix du support et de la matière une histoire à part entière avec ses cheminements, ses décisions et... ses accidents... prenons ses sculptures en bronze et ses sculptures en bois et imaginons l’effort et la force que cela demande pour couler l’un et maîtriser l’autre. Surtout que l’on parle de formes à taille humaine, massives, fortes... lorsqu’Ivan connaît un épisode physique regrettable qui l’éloigne du travail de force le temps de se rétablir, l’artiste doit contourner cette malheureuse contrainte s’il veut rester fidèle à sa belle production. Dès lors il s’agira de sculptures dans des métaux plus malléables, l’aluminium par exemple; et son audace le conduira même jusqu’à créer des illusions artistiques! Un bronze en carton, du bois en carton, du papier - transformé par une pratique bien spéciale et tenue secrète - en peau de serpent pour honorer ses mythiques indiens, des plumes suspendues à la toile... bref un florilège de matières et de supports tous plus ingénieux à l’idée les uns que les autres...
Puis un jour en 2005, en rangeant des archives, c’est même le support qui appelle Ivan Messac. La rencontre se fait grâce à l’œil alerte de l’artiste et l’esprit créatif toujours en ébullition. En effet, par un poétique hasard, en dépliant un dossier d’archive en carton, Ivan y voit un visage au pochoir qui l’appelle, des couleurs pop et ses éléments iconiques l’inviter dans une danse nouvelle. Il y voit aussi la possibilité libératrice d’utiliser ce support bon marché juste pour tenter, coucher la spontanéité du geste sans la peur que l’esprit et le résultat ne s’ajustent pas. Dès lors la satisfaction est immédiate et guide l’artiste vers d’autres portraits de la même exploration. Parmi les œuvres nouvellement créées on découvre les portraits « Si les petits cochons », « Dieu n’est pas une pluie d’étoiles », « Elle rêvait des mers », « Vendanges de Septembre », « Spirale de nuit » que nous avons la joie de présenter.
Texte par Nadège Buffe