Actualites - 2020 - Chronique 3

Chronique №3
L’utilisation du noir et du blanc dans la peinture peut-elle être politique?
Jean-Michel Basquiat (1960 - 1988) / Lateral view, 1982

Lorsque le spectateur observe  le trait brut et faussement enfantin des peintures de Basquiat il y voit une énergie bien particulière qui s’impose dans le mystère des symboles, des mots, des lettres barrées ou manquantes et des ossements parfois... Souvent on aime chez l’artiste la vivacité des couleurs qui tranchent avec les fonds sombres. La présence des œuvres est telle qu’il semblerait que quelque chose venu d’ailleurs vienne saisir notre âme. Cette présence quasi mystique est le fruit de multiples contradictions, celles d’un enfant du Monde qui questionne ses Origines et leurs Histoires, celles d’un artiste au talent indiscutable qui, sur la toile, embrasse d’une maladresse maîtrisée ses doutes sur la société et les ressorts de l’Humanité; Homme qu’il peint dans son anatomie comme une ironie du sort.

En effet, l’anatomie l’obsède depuis le fameux livre offert par sa mère pour ses 7 ans, à l’hôpital. Le livre est fondateur de sa carrière artistique et le symbole d’une transmission : celle d’un héritage artistique par sa mère passionnée d’art et celle d’un métissage, l’enfant étant de père haïtien et de mère portoricaine.


L’anatomie devient alors la clé pour se projeter au plus profond de l’Homme tout en occultant sa couleur de peau.

Les 18 planches du set « anatomy » qui décortiquent 18 parties du corps humain, toutes d’un même trait blanc sur fond noir, sont probablement parmi les plus symboliques de la dualité de l’artiste. La tradition picturale du noir sur blanc est inversée car Basquiat est lui même un artiste noir dans un milieu de blancs. Cette situation résonne en lui comme une contradiction avec le sens de l’Histoire.

Dès lors il n’assume sa talentueuse réussite artistique  qu’en  provoquant le rapport de force entre noir et blanc. L’œuvre Rinso sur fond exclusivement noir incarne cette profonde provocation. Le titre vient d’une lessive populaire, introduite au début du XXème siècle, et reconnue pour ses effets blanchissants. Cette lessive décrite de façon ironique par les symboles de l’artiste vient dialoguer sur la toile avec les « no suh no suh » (les cris des esclaves « no sir, no sir »...) et les croix...


Kouka

Cette confrontation du noir et du blanc résonne encore quelques décennies plus tard chez l’artiste Kouka. L’artiste franco-congolais utilise la silhouette d’un guerrier Bantu, symbole du premier homme apparu au monde, dépourvu d’environnement culturel et social, comme Basquiat utilisait l’anatomie. Le dessein est de définir un homme absolu, universel, sans division et de rassembler résolument les Êtres. Et ce qui, dans un cas comme dans l’autre, est sacré; c’est que cette sensibilisation vient d’une conviction profondément humaniste, sans esprit de revanche ni victimisation : un homme droit et fier qui porte son présent et son passé, son arme pointée vers le ciel, symbolique pure de conscience et de protection. Il s’agit d’une posture noble et désintéressée, celle de vouloir rassembler, un idéal simplement.


À propos de ses guerriers faits de noir et de blanc Kouka confie dans son livre Bantu-Le livre : « ce personnage noir devenait mixte du fait de ses deux couleurs. Il portait son histoire passée et témoignait de celle, difficile, en train de se faire. Sous mon pinceau il conciliait le noir et le blanc ».

Cette problématique de l’origine et de l’identité vient heurter chacun de nous. Il n’est plus question de couleur mais de vivre avec ce que nous sommes dans une acceptation profonde. Et kouka de dire encore : « Une réconciliation possible produite par le métissage, l’idée d’une origine commune qui crée des ponts entre les cultures. Je le peignais alors en utilisant avec d’autant plus de détermination le blanc et le noir »... 


Texte par Nadège Buffe

Share by: