Actualites - 2020 - Chronique 4

Chronique №4 
Quel peut être le sens des lettres du graffiti ?
Dans la préhistoire de l’art urbain, bien avant que les artistes ne soient portés au pinacle et fassent vibrer de stupéfaction les marteaux des salles de vente euphoriques, il se jouait autre chose...

A cette époque aux États Unis, cet art nouveau - qui commençait à se frotter aux murs des villes ou aux carrosseries des trains de banlieue - se questionnait lui-même sur son Essence.
L’intention de cette expression était encore méconnue et s’accompagnait de violence parfois. Un nouveau quadrillage des rues fait de blazes, de symboles et de formes de lettres s’imposait de façon très codifiée et gare à celui qui prenait une aisance géographique. Dans cette guerre des lettres, parfois on n’appuyait plus seulement sur les caps des bombes aérosols mais sur la gâchette d’armes mortelles...
Et pour se renforcer, ces guerriers des murs et de l’espace urbain sévissaient par groupes, les crews, et tout se jouait très vite dans une cadence des diables qui marquait sans doute les prémices des rythmes du Hip Hop.

C’était la naissance de la société de consommation, les publicités s’affichaient un peu partout et entraînaient avec elles, une jeunesse en quête de sens, inspirée par l’idée de se mettre en scène et d’exister sur les murs au même titre que les Logos ou les slogans des marques... 

Mais derrière ces symboles que les ainés transmettent aux nouveaux, cette initiation de la lettre, cette culture de la forme arrondie ou non, pleine ou vide, colorée ou pas et cette rapidité du geste, il y a comme toujours, l’automatisme pour certains, l’expression d’une profondeur de l’âme pour d’autres et surtout dans ce tumulte de guerre de territoires et d’affirmation de soi, il y a une chose qui vaut de l’or : le respect lorsqu’il y a le talent.
Certains noms résonnent aujourd’hui comme les idoles, ce sont eux qui ont tracé la voie.
Et lorsque l’on s’avise de regarder ces signatures comme autre chose que du vandalisme, ce qui est fascinant, c’est tout ce que l’artiste peut inscrire par delà les symboles et la signature.
Prenons par exemple Rammellzee, l’artiste du légendaire trio des Hollywood Africans constitué avec Basquiat et Toxic au début des années 80, lorsque le graffiti a déjà plus d’une décennie d’existence mais commence seulement à susciter l’intérêt artistique du public.
La question de l’identité est très présente chez l’artiste mystérieux qui tantôt a une vie monastique, tantôt se met en scène de façon permanente sous de multiples personnages tous plus excentriques les uns que les autres. La complexité de l’homme est telle que son lettrage vient explorer de nouvelles formes du langage. Pour l’artiste noir-américain qui, a l’instar de Basquiat, conscientise l’omniprésence et l’omnipotence de l’occident et la complexité du rapport noir et blanc depuis des siècles; l’alphabet incarne une nouvelle fois ce que l’occident impose aux autres. Dès lors ses propres lettres revendiquent un total affranchissement de l’alphabet traditionnel et imposent la lecture d’un nouveau monde. 

Un peu plus tard...L’identité comme terrain de création et la nécessité de montrer une idée particulière du monde, constituent la démarche et le talent de Kongo.
L’artiste a côtoyé les grands du milieu américain mais c’est à Paris qu’il a construit sa légende. Avant tout c’est son blaze qui scelle la multitude des influences qui composent son identité.
De père vietnamien et de mère française l’artiste quitte la France à 2 ans pour le Vietnam puis au rythme des incidences politiques qui touchent sa famille revient en France... Autant de diversités culturelles et de langages qui élèvent le futur artiste. Puis au sortir de l’enfance il part vivre au Congo. La bienveillance du peuple congolais, les tissus multicolores, la lumière, la gaité et le rythme sont accueillis par l’artiste comme une renaissance. Il se révèle quelque chose au plus profond comme le berceau du talent d’un homme déjà inspiré.
C’est donc la force au cœur que Kongo revient à Paris à l’adolescence et revendique ce nom d’adoption sur les murs comme l’emblème d’une vie qui s’offre à nous et que l’on suit avec évidence tellement les mots et les couleurs s’alignent avec l’âme. C’est l’expression d’une détermination, d’un langage unique, celui de l’art qui veut toucher, l’affirmation d’un amour pour son prochain, l’amour comme langue universelle et les couleurs comme force de l’âme. Voilà tout ce qu’il y a derrière la signature qui fait danser les lettres du graffeur KONGO.


Texte par Nadège Buffe
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